Interview • TADEO Concrete Non Series Dure Vie Noemie Barbier

À la tête du label Cyclical Tracks et de son petit frère Another Intelligence, Tadeo est un de ces érudits qui restructurent le paysage techno de l’autre côté des Pyrénées. Invité à la Concrete Construct Re-Form de dimanche (30 novembre 2014), c’est CDJ et TR-909 sous le bras qu’il s’est pointé et a remis tout le monde en place par son set imposant.

Il a eu la gentillesse de nous accorder un peu de son temps pour répondre à nos questions.

Dure Vie • Salut Tadeo, quel âge avais-tu quand tu as découvert la techno ?

Tadeo • J’ai découvert la techno en 1993 quand j’avais 15 ans, mais évidemment, je ne pouvais pas aller en club à ce moment-là, j’étais trop jeune. J’ai dû attendre un peu et me procurer des cassettes enregistrées dans les clubs. Je ne connaissais pas les noms ou les titres mais je connaissais la musique et petit à petit j’ai eu accès à des infos. Je me souviens aussi qu’avec l’antenne satellite de mon immeuble, la nuit je pouvais capter la chaine MCM, où étaient présentés différents labels de musique le week-end, c’est là que j’ai découvert des artistes comme Laurent Garnier, Sven Väth ou Manu Le Malin. Et c’était quelque chose !

 

Dure Vie • Qu’est-ce que tu écoutais d’autre à l’époque ?

Tadeo • Surtout de la musique électronique par Vangelis et Jean-Michel Jarre. Je me souviens aussi d’une compilation intitulée « Synthesizer Greatest » et de l’album de Kraftwerk « Electric Café ». À cette époque en Espagne, et aussi dans d’autres pays je suppose, on voyait la naissance de l’« Eurobeat », ça ne représentait ni ce que j’étais ni mes goûts. J’étais un peu un « freak » qui n’aimait pas les musiques qu’on entendait à la radio.

 

DV • Ça fait un peu plus de dix ans maintenant que tu es dans le milieu. Comment as-tu vécu l’évolution de la scène, en particulier en Espagne ?

Tadeo • En Espagne, la scène a eu un bon départ, comme dans beaucoup d’endroits d’ailleurs, lorsque quelque chose est nouveau, très attrayant et que c’est pleinement exploité, vient ensuite le moment où la bulle se dégonfle, ajoute à ça le changement générationnel et voilà le résultat. Comme je le disais plus tôt, c’était fort et attirant, tu pouvais aller dans un club et après dans un autre, ça restait ouvert même après la fermeture, une faille dans le système juridique le permettait, tous les artistes étaient nouveaux et tout paraissait alléchant. Tout ça s’est dissipé au fur et à mesure, et l’intérêt était déjà porté sur le fait de voir de plus en plus de DJs connus et les clubs ont commencé à payer des montants exorbitants pour les booker. Les artistes locaux se sont vu être relayés au second plan et la scène – que l’on voyait comme saine – a simplement disparu, pas complètement, mais ce qu’il restait était tellement insignifiant qu’on pourrait la qualifié d’inexistante. J’ai toujours essayé de rester loin de tout ça, j’ai taché de travailler à ma manière, basé sur la musique, de ne pas penser à l’état de la scène dans mon pays mais plutôt à un niveau international ; en faisant ça tu peux acquérir beaucoup plus d’auditeurs. Lorsque tu ne connais pas leurs habitudes, leur manière de voir les choses ou leur mode de vie, je pense que tu peux commencer à comprendre tout ça en allant dans une boite ou dans un magasin de musique. Tu apprends et tu essaies de découvrir une manière globale de te connecter avec les gens à travers la musique.

 

DV • Et comment tu penses que ça évolue aujourd’hui ?

Tadeo • Je pense que ça s’est arrangé depuis quelques années, il y a beaucoup de nouvelles personnes impatientes de faire des choses, on voit de nouveau certains clubs qui créent une scène. Par exemple, le Cassette Club à Madrid, là-bas tu peux voir une audience dévouée, beaucoup d’artistes dans le dj booth et sur le dancefloor. Tu peux échanger ton point de vue avec eux et tous les dimanches il y a un guest dont tu ne connais peut-être rien. Mais ce n’est pas un cas isolé. Progressivement, de plus en plus de clubs émergent, sans forcément beaucoup de budget, mais ils veulent faire les choses bien, et c’est comme ça que la scène renait, lorsqu’on découvre de nouvelles choses et que tu as une marge de manœuvre et que tu peux produire quelque chose.

Par ça, je ne dis pas que les grosses soirées ne sont pas importantes mais elles ne génèrent pas une scène ou ne font pas découvrir des nouveaux noms. L’idéal serait que les deux s’harmonisent, réalisant et développant chaque activité sans gêner l’autre.

 

DV • Une de mes tracks préférées, “The Message », sample le speech percutant de l’adolescente Severn Suzuki au sommet de la Terre des Nations Unies en 1992. Es-tu un activiste écologique toi-même ?

Tadeo • Non, je ne suis pas un activiste en soi, mais c’est vrai que je préfère la campagne à la ville. Je suis attristé par cette composante qui n’hésite pas à détruire les concepts et les pratiques culturelles au profit de l’avancée technologique, la pollution et la destruction des forêts… J’ai toujours cru que la musique avait l’obligation de véhiculer un message, et à cette époque, je ressentais la nécessité de construire un thème pour le discours de Severn. Simplement, je l’ai écouté et toutes les idées me sont venues à l’esprit. Tout ce qu’elle dit dans ce discours est vrai, il y a beaucoup de choses que nous devons prendre au sérieux, tout est vrai, et beaucoup de ces conséquences sont en train de devenir une réalité. Si tu ne prends pas soin de ta maison… Peux-tu vivre en paix ?

DV • C’est vrai… J’ai lu quelque part que tu avais travaillé avec Radio Transmissions dans les studios RedBull à Madrid sur un projet intitulé « 20.000 » qui mêle musique et images. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ? Tu es plutôt du genre à visualiser la musique toi aussi ?

Tadeo • Oui je suis un synesthète, et je vois les sons flotter dans l’air autour de moi. C’est un grand avantage. Mais attention, ça ne veut rien dire concernant la qualité de la musique que tu produis.

L’expérience dans les studios RedBull était vraiment enrichissante, Peter (Radio Transmission) et moi nous sommes beaucoup amusés là-bas, on avait une bonne back-line à notre disposition. L’idée était de faire un enregistrement d’une improvisation basée sur « 20.000 Lieues Sous Les Mers » de Jules Verne. Après six jours de travail ininterrompus, on avait environ 40 heures d’enregistrement. Aujourd’hui, on est encore en train de sélectionner et de composer tout ça, dans le but de réaliser une œuvre audiovisuelle en hommage à Verne en les combinant avec le film original de 1916. Ça va mettre du temps à voir le jour, mais on a obtenu un très bon son de première classe à l’intérieur de ce studio.

 

DV • Hâte de voir le résultat. Quatre sorties cette année, plutôt impressionnant ! Comment fais-tu pour manager deux labels et produire à ce rythme ?

Tadeo • En réalité, en ce moment je me consacre seulement à Another Intelligence. Et pour tout dire, j’ai déjà pas mal de tracks. Tous les jours je peux en faire une nouvelle mais j’ai besoin de peser attentivement ce que j’aime à propos de chacune pour finalement sortir quelque chose. Pour moi, être en studio est quelque chose de naturel, j’ai une idée que je transforme en track en quelques heures, convertir l’idée c’est la partie simple.

Le plus difficile est d’en conserver le sens sur plusieurs minutes. Parfois, tu as de bonnes idées qui sont bonnes à développer, parfois non. J’essaie d’être rapide car une autre idée ou concept peut se pointer assez rapidement et prendre le pas sur la première. Si l’idée est bonne, je la mets en stand-by et je me laisse encore une autre journée pour finir de bosser dessus. J’essaie de ne pas trop penser à ce que je veux, je laisse simplement l’idée faire son chemin : ça me dira comment je dois la façonner. De cette manière, tu peux avoir beaucoup de thèmes en peu de temps. Je pense que la spontanéité est très importante en musique, et si tu sais comment la respecter parfois tu obtiens quelque chose de bien, on pourrait voir ça comme de la nourriture, si tu en fais trop, tu peux perdre toutes les saveurs et ce n’est pas bon.

 

DV • Revenons quelques années en arrière, quel était le premier record que tu as acheté ?

Tadeo • « The Best of Vangelis »

 

DV • Celui que tu ne vendrais pour rien au monde ?

Tadeo • Je ne vendrais jamais un de mes albums, chacun représente quelque chose.

 

DV • Héhé bonne réponse ! Celui qui ne quitte jamais ton bag ?

Tadeo • JB3 – Close Grind [NovaMute]

Un grand merci à Tadeo et Caroline du label Non Series. 

By Noémie BARBIER

 Interview • TADEO

 Head of the label Cyclical Tracks and its little brother Another Intelligence, Tadeo is one of these erudites that restructures the techno landscape on the other side of the Pyrenees. Invited last Sunday at Concrete Construct Re-form, he showed up CDJ and TR-909 under his arm, and put everyone back in place with his impressive set.

He had the kindness of granting us a bit of his time to answer our questions.

Dure Vie • Hello Tadeo! How old were you when you discovered techno music?

Tadeo: Looking back, I discovered the Techno music in 1993 when I was 15 years old, but of course, I could not go to clubs at that moment, I was too young and I had to settle for getting tapes recorded in discos and clubs that circulated around the institute. I did not know names or titles, but knew the music and then slowly was discovering all the info. I also remember that with the satellite dish on my building, during the night I could tune to the MCM channel, where the weekend different music labels were showed and as a result I discovered artists like Laurent Garnier, Sven Väth or Manu Le Malin. That’s something.

 

Dure Vie • What were you listening to back then?

Tadeo: Especially electronic music by Vangelis and JM Jarre, also I remember the compilations called « Synthesizer Greatest » and Kraftwerk’s Electric Café. In Spain there was at that time and I guess other countries the birth of the « Eurobeat », which doesn’t represent me or my tastes, I think. At that time it was like a « freak » who doesn´t like the music you can listen on the radio stations.

 

DV • It’s been ten years now that you’ve been in the game. How have you lived through the evolution of the scene, particularly in Spain?

Tadeo; In Spain the scene had a strong start, I guess like many places, when something is new, very attracting and is fully exploited, then comes the moment when the bubble is deflated, to this will add a generational change and we have the result . As I said earlier it was strong and appealing, you could go to a club and after to another one, there were afterhours, a loophole in the law allowed this, all the artists were new and everything looked very appetizing. Gradually everything dissipated and that curiosity was already focuses on seeing more and more famous DJs and the clubs started to pay excessive fees for them. Local artists saw themselves displaced and the scene – viewed as a healthy scene -, simply disappeared, not totally, but the remaining part was so small that it can be considered as non-existent. I always have been trying to stay away from all of this, I’ve tried to work my way based on the music, not thinking about  the state of the scene in my country but thinking about it at a worldwide level; if you do it like this you can get much more listeners. When you don’t know their habits, their way of seeing things or their way of life, I think you can start to understand it by going to a club or to a music shop. You learn and you try to learn a global way to connect with people through the music

 

DV • And how do you think is it going on now?

Tadeo: I think it has improved for a couple of years until now, there are many new people looking forward to doing things, you can see again some clubs which are generated scenes. For example, Cassette club in Madrid, there you can see a devoted audience, many artists in the dj booth and on the dancefloor. You can exchange points of view with them and every Sunday there is a guest that perhaps you know nothing about.. But it’s not an isolated example. Slowly, more and more clubs are emerging, they are building themselves without so much budget, but they want to do things right, and that’s how a scene is reborn, when new things are discovered and when you can move and generate things. I do not want to mean with this that the major parties are not important, but they do not generate a scene or make people discover new names. The ideal goal is that both come together in peace making and developing each function without annoying the other.

 

DV • One of my favorite track « The Message », samples the powerful speech of the thirteen-year-old Severn Suzuki at the UN Earth summit in 1992. Are you an environmental activist yourself?

Tadeo: No, I am not an activist per se, but it is true that I prefer the countryside to the cities including much of the social development. That part that does not hesitate to destroy concepts and cultural practices for the advance of the technology, the contamination and the forest destruction make me feel sad. I have always believed that music has the obligation to carry a message, and at that moment I felt the necessity to build a theme for the speech of Severn. Simply, I listened to it and all the ideas came to my head .Everything in that speech is true, there are a lot of things in it that we have to take seriously, it’s all true, and many of the consequences are becoming a reality. If you don’t take care of your home… Can you live in peace?

 

DV • So true… I read that you worked with Radio Transmissions at the RedBull Studios in Madrid on a project called 20.000 that project pictures on music. What did this experience brought you? Are you the type that tends to visualize music when producing?

Tadeo: Yes, I am synesthete and I see the sound floating in the air around me. It is a great advantage, but hey, it does not mean anything concerning the quality of the music you produce. The experience in the studio of RedBull was very rewarding, both Peter (Radio Transmission) and I had a lot of fun there, we had at our disposal a good and great back-line. The idea was to make recordings of improvisation based on Jules Verne’s 20,000 Leagues Under the Sea. After 6 days of continuous work, we got about 40 hours of recordings. Right now, they are still being selected and composed, in order to do an audiovisual work in homage to Verne by combining them with the original film of 1916. It will take time to see the light, but we obtained a very good and hi-class sound inside of that studio.

 

DV: Can’t wait to see the result! Four releases this year, kind of impressive! How do you manage to run two labels and to produce at this pace?

Tadeo: Actually right now I only dedicate myself to «Another Intelligence ». And the truth is that I already have many tracks. Every day I can make a new one, but I need to weigh carefully what I like about each one to finally publish a release. For me being in the studio is something natural, I have an idea and turn it into a track in a couple of hours, converting this idea is something easy. The hard part is to keep the sense over several minutes. Sometimes you have good ideas that are good for development, sometimes not. I try to be quick because another idea or another concept can come pretty fast and it will stand above the first one. If the idea is right, I put it on stand-by and then, it takes another day to finish the work on it. I try not to think too much about what I want, I simply let the idea goes; it will tell me how I should shape it. This way you can have a lot of topics in a short time. I think that spontaneity is very important in music, and if you know how respect it sometimes you get something good, it might  be seen like the food, if you cook too much you can lose all the flavor, and that’s not good.

 

DV: Let’s go few years back, what was the first record you bought?

Tadeo: The Best of Vangelis

 

DV: Interesting, the one that you wouldn’t sell no matter what?

Tadeo: I will never sell one of my albums, each one represents something.

 

DV • Hehe best answer! The one that never leaves your bag?

Tadeo: JB3 – Close Grind

A huge thanks to Tadeo and Caroline from the label Non Series!

 

By Noémie BARBIER