LE CHANT DE LA MACHINE

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Une fois n’est pas coutume, Dure Vie se lance dans la bande dessinée. Hors sujet direz-vous ?

 

Le chant de la machine est pourtant une oeuvre graphique et littéraire profonde et précise sur l’histoire et les racines de la musique « électronique ».

 

Art Spieglman avec son chef d’œuvre Maus, sur l’histoire de la Shoah et la vie de son père, avait popularisé ce format, avec un graphisme simple mais percutant, un texte découpé en chapitres, l’absence de couleurs, ainsi qu’un réel travail autour de la notion de mémoire ; il avait ainsi donné ses lettres de noblesse à un art jusque là peu reconnu, ce qui lui valu un prix Pulitzer en 1992.

Couverture de Maus

Couverture de Maus

 

C’est dans cette veine artistique et surtout graphique que David Blot, animateur chez Nova, et Mathias Cousin, graphiste, publient à partir de 2000 Le Chant de la Machine.

Extrait du Chant de la Machine

Extrait du Chant de la Machine

 

Le format graphique et narratif est extrêmement proche de celui adopté par Art Spieglman, même si le style évolue au gré des chapitres et que, parfois, de la couleur vient éclairer certains cadres.

 

Cette veine artistique exploitée par les deux auteurs convient parfaitement en raison du parallélisme fond – forme de cette BD. La bande dessinée comme la musique électronique est un art relativement moderne qui a connu un réel envol dans la seconde moitié du XXe siècle. Tous deux ciblent un public jeune, et souffrent d’être perçus comme des « sous arts ».

 

Comme dans Maus, Le chant de la machine cache sous une forme à priori simpliste, un contenu extrêmement dense et complexe.

Extrait de Maus

Extrait de Maus

 

On sent d’abord que les auteurs ont effectués un travail de recherche en profondeur. Chaque époque et influence se succèdent avec la description précise de ses origines, ses influences, ses artistes, et par le truchement de personnes ayant réellement vécu ces évènements. Il en résulte que chaque chapitre est truffé d’anecdotes qui retracent pas à pas l’émergence d’une sous-culture. On apprend ainsi que les premiers « sound-systems », un des éléments clés de la scène underground, sont nés en Jamaïque dans les années 1930/1940, et que le terme « house music » est un raccourci pour désigner la musique qui était jouée dans le club de Chicago appelé la « warehouse », où officiait Frankie Knuckles.

 

Extrait du Chant de la Machine

Extrait du Chant de la Machine

 

Le texte frise parfois l’excellence. Le vocabulaire adopté est précis et dépasse l’esprit burlesque souvent associé au format BD pour offrir à quelques reprises une analyse quasi-sociologique du phénomène étudié. Les auteurs décrivent ainsi la Disco et son arrivée en France comme la version sonore du « rêve américain », ce qui est assez juste :

 

« Partout on vit la disco comme une tranche du rêve américain à consommer »

Extrait du Chant de la Machine

Extrait du Chant de la Machine

 

C’est dans le chapitre sur les raves que l’intelligence du texte se manifeste le plus, notamment dans cette analyse – « les raves sont le dernier mouvement politique et militant de la jeunesse » – qui donnerait du grain à moudre à n’importe quel sociologue.

 

Mais une BD, si bonne soit elle, ne peine-t-elle pas à rendre compte d’un art qui s’apprécie non pas par l’œil mais par l’oreille ? Sans doute, quoique les auteurs ont eu la bonne idée d’ouvrir chaque chapitre avec une playlist de morceaux caractéristiques du style présenté.

Extrait du Chant de la Machine

Extrait du Chant de la Machine

 

Et tout au long du texte les cases sont truffées de pochettes vinyles dessinées avec suffisamment de précision pour donner l’impression au lecteur de « digger » des vinyles, ce qui en incitera certains à noter le nom d’un label ou une date de sortie au détour d’une case.

 

Enfin les auteurs s’emploient à représenter graphiquement les émotions, les sons, et les sensations… qui meublent chacune des cases et parviennent à créer une petite synesthésie sur papier.

 

Extrait du Chant de la Machine

Extrait du Chant de la Machine

 

Mais cela laisse évidement le lecteur sur sa faim, et on se retrouve vite à lire la bande dessinée d’une main, l’autre étant en train de jouer les sons en question sur un laptop, pour compléter l’expérience.

 

Vous trouverez l’ouvrage ici.

Article rédigé par Sanche